Longtemps associé à des clichés tenaces, le chanvre opère depuis quelques années un retour remarqué en Nouvelle-Aquitaine. Entre résilience agricole et potentiel industriel, cette plante oubliée s’impose comme l’un des piliers d’une transition plus durable, mêlant savoir-faire paysan, recherche appliquée et ambitions locales. Zoom sur une filière en plein boum.
Une renaissance agricole régionale
Implanté autrefois sur l’ensemble du territoire français, le chanvre a progressivement disparu de nos campagnes au fil du XXe siècle. En Nouvelle-Aquitaine, quelques agriculteurs pionniers ont recommencé à en semer dès les années 2010. À l’heure actuelle, la région figure parmi les plus dynamiques de l’Hexagone, avec près de 1 500 hectares cultivés, principalement en Charente, Dordogne, Lot-et-Garonne et dans le Gers.
Pourquoi un tel engouement ? Parce que la plante répond à plusieurs défis contemporains. Le chanvre pousse sans pesticide, ne nécessite que très peu d’eau et enrichit naturellement les sols. « C’est une culture qui s’intègre parfaitement dans une rotation respectueuse de l’environnement », explique Pierre Labrue, agriculteur et membre du collectif C.A.R.C.H.E (Collectif Agricole Régional du Chanvre en Haute-Environnement). « En plus, sa croissance rapide évite la prolifération des mauvaises herbes ».
À ces qualités agronomiques s’ajoute une résilience économique. Les débouchés sont multiples, des matériaux de construction aux textiles, en passant par l’alimentation ou la cosmétique. Pour les producteurs néo-aquitains, c’est une voie vers une agriculture rémunératrice, locale et cohérente avec les attentes sociétales.
Une plante, des usages pluriels
Tout se transforme dans le chanvre. La fibre longue est utilisée dans le bâtiment, notamment sous forme de béton de chanvre ou de panneaux isolants. La chènevotte (partie centrale de la tige) sert aussi pour l’isolation ou la litière animale. Les graines, riches en oméga-3, retrouvent une place dans les rayons bio sous forme d’huile, de farine ou de snack protéiné. Même les fleurs, contenant des cannabinoïdes non psychotropes (CBD), gagnent du terrain en médecine douce tout en suscitant encore débat.
En Nouvelle-Aquitaine, plusieurs filières locales se sont structurées. La société CAVAC BioMat, implantée près de La Rochelle, transforme le chanvre d’agriculteurs régionaux en isolants biosourcés. À Bergerac, la coopérative AGROCHANVRE 47 valorise les graines et fibres dans une logique de circuit court. « On veut sortir d’un modèle où seule la matière première compte. Ici, on mise sur une transformation locale à forte valeur ajoutée », souligne Laurence Meynard, directrice de la coopérative.
La recherche en appui des savoir-faire
La dynamique régionale autour du chanvre ne se limite pas au monde agricole. Des institutions de recherche comme l’INRAE Bordeaux, en lien avec l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, travaillent sur l’amélioration variétale, le potentiel énergétique de la biomasse ou encore le développement de bioplastiques à base de chanvre.
Un projet interdisciplinaire, baptisé HEMP’nov, associe chercheurs, ingénieurs et entreprises pour innover autour du chanvre industriel. Appuyé par la Région Nouvelle-Aquitaine, ce programme explore de nouvelles applications : textiles techniques, composites automobiles, ou encore encre chènevotée pour les arts graphiques. Un champ des possibles enthousiasmant.
« On redécouvre une ressource dont nos grands-parents connaissaient l’utilité, mais avec des outils modernes », commente Sophie Dalle, chercheuse en agro-matériaux. « Mieux encore, le chanvre pousse ici, chez nous. Il s’intègre pleinement dans une logique de souveraineté industrielle régionale ».
Freins, tabous et inerties
Malgré ces signaux positifs, la filière chanvre doit composer avec des obstacles. D’abord réglementaires : le flou persistant autour de la législation européenne sur le CBD bloque certains débouchés. Ensuite techniques : les outils de transformation sont encore peu nombreux et coûteux. Enfin culturels : le mot “chanvre” reste parfois associé, à tort, au cannabis récréatif.
« On a dû mener un vrai travail pédagogique auprès des riverains et des élus locaux », se souvient Mathias Gouy, cultivateur dans le Médoc. « Il y a une confusion nourrie par des décennies de désinformation. Pourtant, les variétés que nous cultivons contiennent moins de 0,3 % de THC, soit aucun effet psychotrope. »
Pour consolider la filière, plusieurs leviers sont envisagés : aides à la mécanisation, soutien à la formation, facilitation de l’accès au foncier, dialogue renforcé avec les autorités sanitaires. Car sans accompagnement, le risque est de voir les efforts locaux étouffés par des productions importées à bas coût.
Des initiatives inspirantes sur le terrain
Partout en Nouvelle-Aquitaine, des acteurs engagés développent des projets audacieux autour du chanvre. À Tarnos, dans les Landes, l’agence d’architecture Hélium a conçu une école primaire en béton de chanvre, favorisant un confort thermique optimal. À Cognac, une distillerie expérimente l’aromatisation avec des têtes florales riches en terpènes. À Limoges, une marque de cosmétiques artisanale valorise les graines pressées localement.
Ces initiatives, parfois discrètes, ont en commun une vision systémique du territoire. Loin du greenwashing, elles cherchent à inscrire le chanvre dans des boucles de production circulaires, ancrées au sol. Comme le résume Margot Deval, paysagiste et animatrice de l’association “Chanvre & Bâti” : « Le chanvre nous oblige à repenser nos chaînes de valeur. Il nous force à coopérer, à mutualiser, à innover, ensemble ».
Et maintenant ?
Reste à savoir si la dynamique va s’amplifier ou retomber. L’année 2024 s’annonce décisive : plusieurs projets d’unités de transformation régionales verront le jour, des formations se montent dans des lycées agricoles (notamment à Périgueux et Angoulême), et les premières expérimentations en vêtements « made in Nouvelle-Aquitaine » sont testées avec les Tissages Moutet, à Orthez.
Mais le virage industrielo-agricole ne se fera pas sans politiques publiques ambitieuses. La structuration d’une filière chanvre passera par un accompagnement long terme, un maillage dense entre territoires ruraux et urbains, et la mise en réseau de compétences variées.
La question n’est plus : « Le chanvre a-t-il un avenir ? », mais bien : « Quelle place allons-nous lui accorder dans notre futur commun ? »
Pour celles et ceux qui cherchent des alternatives concrètes, résilientes et solidaires, le chanvre en Nouvelle-Aquitaine tend la main. Reste à savoir si nous saisissons l’occasion ou si nous laissons filer, une fois de plus, une bonne idée semée en terre fertile.
